L’ancien président américain Jimmy Carter est décédé, a annoncé son fils dimanche soir. L’information, diffusée par le Washington Post, a également été relayée par l’agence ANP.Jimmy Carter avait occupé la Maison Blanche de1977 à1981. Il a aussi reçu le Prix Nobel de la paix en2002. Il avait 100 ans.
Locataire de la Maison-Blanche entre1977 et1981 et chantre des droits de l’homme, Jimmy Carter laisse derrière lui de grands accords internationaux (accords de Camp David, traité sur la limitation d’armes avec l’URSS, rétrocession du canal de Panama au Panama…). Son mandat est marqué par la crise des otages de l’ambassade d’Iran et les conséquences du deuxième choc pétrolier.
Après son passage dans le bureau ovale, l’hommeavait consacréson énergie àtrouver des solutions aux grands conflits mondiaux. En2002, il sera gratifié du Prix Nobel de la paix pour son engagement.
Jimmy Carter étaitle premier homme politique du "sud profond" – soit l’espace allant du Texas à l’ouest au Tennessee au nord et à la Floride à l’ouest – à être élu à la présidence des États-Unis, et ce depuis la guerre de Sécession.
Le président Carter en2011. ©AFP
Cacahuètes sudistes
Car oui, le Sud coulait dans ses veines. Originaire de Géorgie, il y tenait, à sa terre. Il était profondément attaché à son État, plus particulièrement au bourg de Plains, fief familial où il est né et où il habita jusqu’à sa mort. Une (très) petite ville de même pas 800 habitants où ils étaient, lui et son épouse Rosalynn, de vénérables ambassadeurs. Carter, c’était sans doute le président ayant le plus fort rapport à la terre. Il était à l’origine… cultivateurde cacahuètes. Souvent raillé pour cela, ça ne l’empêchera pas d’accéder aux plus hautes marches de Washington.
Son investissement dans la culture de l’arachide date de1953. Suite au décès de son père, il quitte l’US Navy, où il était promis à une belle carrière de sous-marinier, pour l’agriculture. Marié à Rosalynn Smith depuis1946 – le couple s’était rencontré un an avant —, il se lancera en parallèle dans la politique au mitan des années 60. Fervent chrétien (de l’Église baptiste), affilié au parti démocrate, il est élu au Sénat de Géorgie en1963.
Démocrate, certes, mais pas forcément progressiste. Du moins durant la campagne pour devenir gouverneur de son État en1970. Il reprend alors des idées de George Wallace, ancien prétendant démocrate à la Maison-Blanche qui avait fondé un parti prônant le ségrégationnisme. C’est donc avec les voix des durs de durs, désirant une claire séparation des noirs et des blancs, qu’il est élu gouverneur de Géorgie. Mais c’est une ruse. Et ces idées, d’un autre temps, il ne va pas les garder. Et Jimmy Carter de s’empresser même de prendre le pli… complètement inverse.
Son mandat à la tête de la Géorgie va lui servir de tremplin pour se présenter à la primaire démocrate. Le but: la présidentielle de1977. D’abord donné largement perdant, Jimmy Carter va s’envoler dans les sondages début '76. Une des raisons? La vague de "dégagisme" qui touche l’électorat, très présent dans l’opinion après le scandale du Watergate. Carter le producteur de cacahuètes va bientôt la remporter, cette primaire, devançant les ténors du parti. Et affronter le républicain Gérald Ford dans les urnes.
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Le scrutin sera serré. Avec 50,1% du vote populaire (contre 48% pour Ford et presque 1% pour le candidat indépendant Eugene McCarthy) et, évidemment, la majorité des grands électeurs, il est élu 39e président des États-Unis. Il fera un unique mandat. Quatre ans que Carter marquera principalement par sa politique internationale. Des grands accords – avec la Russie, pour le Proche-Orient… -, une politique volontaire, mais aussi une crise énorme. Celle de l’Iran. L’affaire des otages américains retenus à l’ambassade de Téhéran lui coûtera certainement sa défaite à la présidentielle de1981.Il sera alors sérieusement battupar Ronald Reagan. Nous y reviendrons…
Côté politique intérieure, peu à dire. L’atmosphère du temps seraà la deuxième crise pétrolière, à l’inflation et à une certaine morosité ambiante. Son administration démocrate renforcera cependant des domaines importantscomme l’énergie, la protection environnementale et l’enseignement.
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Carter ce qu’il intéresse, ces donc davantage les questions internationales. Il va marquer la diplomatie mondiale. Et notamment la fameuse "realpolitik" (en deux motset en raccourci: tous les moyens sont bons du moment que c’est dans notre intérêt). La realpolitik, chère à ce bon vieux Richard Nixon et vantée par le célèbre secrétaire d’État Kissinger encore quelques années auparavant, qui va peu à peu faire place à une diplomatie, mettant bien plus l’accent sur l’humain. Et sur les droits de l’homme.
Carter à la Maison-Blanche en1978. ©AFP
Carter va mener des actions de l’Oncle Samsur de nombreux fronts et théâtres d’opérations. De grandes opérations diplomatiques seront conclues. Tout d’abord, les négociations préalables à l’accord de Camp David (1978), où les USA feront office de médiateur. Ils engendreront la signature du traité de paix entre Israël et l’Égypte, un an plus tard.Il s’agit là de la première fois que l’État hébreu signera un accord avec un pays arabe. Menahem Begin (Israël) et Anouar el-Sadate (Egypte) recevront le Prix Nobel de la paix en1978.
Sadate, Carter et Begin en1979. ©AFP
1979. Le temps de l’accord SALT II, entre les USA et l’URSS. Les deux blocs, représentés par Carter et Brejnev, s’accordent pour limiter les armes offensives (et nucléaires). Le processus, discutéà Vienne cette année-làfait partie de ce qu’on a appelé "la détente". Même s’il n’a pas été ratifié, les deux superpuissances le respecteront.
Sera aussi signé le traité du canal de Panama. L’administration démocrate promettra de remettre l’ouvrage entre les mains du Panama en1999. Une décision majeure pour le commerce mondial.
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Jimmy Carter accueille Zbigniew Brzezinski en tant que conseiller sécurité de la Maison Blanche
Archives: Jimmy Carter accueille Zbigniew Brzezinski comme conseiller sécurité de la Maison Blanche
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L’Iran en ébullition
La crise iranienne va marquer terriblement la fin de son mandat. Cela lui vaudra une désaffection massive dans l’opinion publique outre-Atlantique. Car le "droit-de-l’hommisme" de Jimmy Carter va aussi s’immiscer dans les relations entre les États-Uniset l’Iran. En effet, depuis la fin de la deuxième guerre mondiale, les Américains voyaientl’Iran comme un allié de taille au Moyen-Orient.Le soutien au Shah d’Iran, après de longues années d’un appui certain, va s’estomper lors du mandat Carter. L’autoritarisme de Mohammad Reza Pahlavi (le Shah) dérange…
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Le Shah est contraint à l’exil. Et ce sont les États-Unis, par le biais de Carter qui vontlui offrir asile. Àcontrecœur. Mais asile quand même. En Iran, les manifestants avalent la nouvelle de travers. Et réclament le retour du Shah au pays pour qu’il y soit jugé.C’est le déclencheurde la prise d’otage de 52 Américains à l’ambassade des USA à Téhéran.
Une crise énorme, qui tiendraen haleine le monde entier. Laprise d’otage durera 444 jours. Jimmy Carter refusera mordicus de recourir à la force, et organisera, avec les autorités canadiennes, une ébouriffante exfiltration des otages. Le film Argo, de Ben Affleck, oscar du meilleur film, retracera d’ailleurs cette histoire hors du commun.
Qu’à cela ne tienne, l’opération est et restera secrète.Carter, en attendant, vapâtirfortement de son tempérament considéré comme passif… Etdévissera littéralement dans l’opinion. Ronald Reagan, son adversaire républicain pour l’élection de1980, vafortement bénéficier de la chute libre du démocrate.
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En1980, la doctrine Carter est adoptée. C’est la fin de son mandat, et l’administration démocrate va hausser le ton au Moyen-Orient. Pour elle, les USA ne doivent pas laisser une puissance étrangère autre contrôler le golfe persique. Des bases américaines sont installées dans la région. Et l’interventionnisme américain de reprendre de la vigueur. Cela est dû notamment aux relations avec l’URSS, qui se durcissent alors (malgré l’accord SALT II). Il faut dire que Moscou avait alors envahi l’Afghanistan. Les États-Unisvont soutenir les moudjahidines qui combattent les soviétiques. Notez que c’est uneaide, qui, plus tard, bénéficiera indirectement aux talibans et aux islamistes.Avec les conséquences dramatiques que l’on connaît…
La même année, les USA boycotteront aussi les JO d’été de Moscou. La décision de Washington sera suivie par une quarantaine de pays du "monde libre".
Sommet du G7 le 28juin 1979 à Tokyo. ©AFP
Soucoupe volante et lapin tueur
Faits plus légers à présent, où on se rend compte quele président avait aussi d’autres cordes à son arc. Jimmy Carter a, en1973, rempli un formulaire d’observation du bureau international des OVNI. Quatre ans auparavant, il aurait vu un objet volant non identifié.
"L’affaire du lapin tueur" a, elle, davantage pesé sur son image. L’anecdote se déroule en avril1979. Le président est dans son domaine de Plains et pêche tranquillement, bien calé au fond de sa barque. Surgit un lapin aquatique. L’animal, un rien plus gros que nos lapins communs à nous, vit dans les marais du sud des États-Unis (c’est pour ça qu’on lui accole cette épithète liquide). Bref, un de ces Sylvilagus aquaticus s’approche de la barque présidentielle et tente d’y monter. D’un air menaçant, le lapin insiste. Il siffle. Carter ne tenant pas plus que ça à le voir dans son embarcation, il le chasse à coups de rame. Le terrible rongeur finira par s’éloigner cahin-caha.
De retour au boulot, le président raconte le féroce combat à ses employés. L’histoire aurait pu en rester là mais elle va ressurgirfin août de la même année, quand le porte-parole de la Maison-Blanche raconte la mésaventure à un journaliste. Et une réaction en chaîne de commencer: "Le président attaqué par un lapin" va faire la une du Washington Post. Une photo existe de la rencontre animalière mais la Maison-Blanche va s’obstiner à ne pas vouloir la publier. Elle ne le fera que quelques années plus tard…
Mal lui enprit, sans doute, car entre-temps, les imaginations ont alors fonctionné à pleinrégime. Caricatures dans la presse — transformant le requin des Dents de la Mer (Jaws) en "Paws" (pattes)-, allusions dans les médias et les shows télévisés… Ses concurrents politiques reprendront aussi l’histoire en associant le comportement de Carter à de la faiblesse et de la couardise. Aux USA, l’"affaire" prit le nom de "Killer Rabbit" (le "lapin tueur") en référence au lapin tout mignon du film des Monty Python "Sacré Graal!" qui se transforme en impitoyabledévoreur de chevaliers de la table ronde.
Un vigoureux après-mandat
Bref, ce n’est pas entièrement la faute du lapin, mais Carter ne sera pas réélu en1980. Il sera même battu sèchement par Ronald Reagan. Avec ses discours plus musclés, sa volonté de "redonner sa grandeur à l’Amérique" (slogan qui sera repris 35 ans après par un autre républicain…) et son côté plus manichéen, l’ancien acteur de cinéma va remporter haut la main l’élection. Loin de se retirer dans ses pénates, Carter va se construire une prodigieuse retraite dans la médiation internationale et l’aide au développement.
Avec sa fondation, créée dès1982 et basée à Atlanta (capitale de la Géorgie), il va mener toutes une série de missions d’observation électorales partout dans le monde. Lui vaparcourirles cénacles du monde entier pour éviter les crises. Il jouera un rôle positif dans celles opposant son pays et la Corée du Nord (1994), Haïti ou encore Cuba. Il intervint en Bosnie-Herzégovine, condamne les guerres d’Irak, favorise le dialogue entre Israël et Palestine… Il écrit beaucoup, promeut la paix et les droits de l’homme, se démène, mais dit aussi ce qu’il pense. Cela lui vaudra des critiques (jusque dans les rangs démocrates), notamment lorsqu’il déclare qu’Israël est un "État d’apartheid" en2006 ou qu’il critique la politique de George W. Bush concernant la torture.
En2002, Carter avait reçu le Prix Nobel de la paix pour son rôle actif dans le monde et dans le domaine caritatif.
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Descendance et hommages
Jimmy Carter avait quatre enfants, huit petits-enfants et deux arrière-petits-enfants. Avec son épouse Rosalynn, il formait un couple solide depuis plus de 75 ans.
Seul président ayant fait ses armes comme sous-marinier, l’US Navy a baptisé un sous-marin nucléaire l’USS Jimmy Carter en2005. Diacre à l’Église baptiste de Plains depuis sa jeunesse, il quittera le poste en2000, fustigeant l’intolérance croissante de "l’Église baptiste du Sud". Il fondera une organisation baptiste plus progressiste avec Bill Clinton en2007.
Jimmy Carter était aussi un grand amateur de musique, et plus particulièrement de rock’n’roll.
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L’homme avait annoncé souffrir d’un cancer en phase avancée en2015. Il avait depuis effectué de nombreux séjours à l’hôpital. Mais ça ne l’avait pas empêché, ces dernières années, de continuer à crapahuter par monts et par vaux avec sa fondation humaniste. Il n’était cependant pas présent à la cérémonie d’investiture de Joe Biden. L’actuel président américain, qui avait été un des premiers élus à soutenir Jimmy Carter dans sa course à la Maison-Blancheen1976, lui avait cependant rendu visite à son domicile de Plains en avril2021.
Optimiste et infatigable, l’ancien homme fort de l’Amérique au visagesouriantétait jusqu’à maintenant le président ayant survécu le plus longtemps après son retrait du pouvoir.